2010-02-21

Café, comptes, coupures et cash

Depuis quelque temps, j'ai pris l'habitude de prendre mon café au même endroit. Je commande toujours la même chose: un café moka, soit un mélange de café espresso et de lait au chocolat. Beaucoup de cafés offrent la même chose, mais je vais à cet établissement en particulier parce que leur mélange est exactement ce que je recherche. Ou du moins, ce l'était.

Auparavant, on faisait le café en prenant un lait au chocolat déjà préparé et on y rajoutait le café. Ce mélange avait comme avantage que ce n'était jamais trop fade, ni trop sucré, ni trop chocolaté. Mais depuis peu, ils ont changé la recette. Au lieu de prendre le lait au chocolat déjà préparé, ils prennent maintenant une poudre de préparation de lait au chocolat. La recette qui jusqu'à présent fonctionnait très bien est devenue imprévisible. Parfois, le café est buvable, parfois il est imbuvable, mais rarement est-il bon. Depuis ces changements, je prends mon café bien moins souvent à cet endroit. Je vais généralement à l'endroit le plus proche, au lieu de faire un détour.

Cette semaine, j'ai fermé un de mes comptes de banque. Pourquoi? Parce que j'avais évalué l'offre de plusieurs banques afin de voir laquelle m'offrait les meilleurs services et les frais afférents les moins élevés. Je m'étais arrêté à la CIBC, car je voulais un compte en dollars américains que j'utiliserais rarement. Leur offre était intéressante : il y avait des frais pour le compte, mais seulement si je faisais des transactions dans le mois. Si je ne faisais rien, je n'avais aucuns frais. J'ai fermé ce compte, car la banque a commencé à charger des frais alors qu'elle n'offrait aucun service supplémentaire et que je ne faisais pas un usage différent de mon compte.

Toyota est en difficulté. La compagnie, qui se targuait d'offrir des voitures de qualité supérieure, est au centre d'un tourbillon de mauvaises nouvelles concernant leurs différents modèles. En effet, plusieurs modèles ont dû être rappelés afin d'effectuer des réparations diverses soit aux pédales d'accélération ou aux pédales de freinage. De plus, il y a des craintes que le système de direction sur certains modèles soit défectueux. Tout cela coûte très cher à Toyota, en frais de rappels et de réparation. Mais à long terme, c'est encore pire. Cela affecte la réputation de la compagnie, la confiance des consommateurs et pour ceux qui ont déjà des véhicules de Toyota, la valeur de revente sera affectée.

Dans les trois cas, c'est la même raison qui est à la base des problèmes que j'ai énoncés : on essaie de faire plus d'argent en n'offrant pas plus de valeur au client. Finalement, cela se retourne contre la compagnie. La poudre de chocolat coûte sûrement moins cher que le chocolat tout fait. Mais pour le client, c'est bien moins bon. La banque fait sûrement plus d'argent en chargeant plus cher pour le même service... sauf si le client cesse d'utiliser ce service. Toyota a tenté de couper ses coûts de production le plus possible. Mais à un certain moment, elle a tellement coupé qu'elle a dû diminuer la qualité des pièces. À court terme, elle a sauvé de l'argent, mais à long terme, cela leur sera très nuisible.

Je suis membre du forum d'Alan Weiss, qui a également été un de mes premiers mentors. Alan nous répète constamment que c'est la valeur qui est intéressante pour un client. Si l'on offre un produit ou un service qui représente assez de valeur pour un client, le coût associé est rarement un facteur.

Un des membres du forum d'Alan a fait le commentaire suivant cette semaine : « Chaque fois que j'ai pris une décision en me basant uniquement sur les considérations monétaires, cela s'est toujours avéré être une mauvaise décision. »

Il disait cela d'un point de vue personnel, mais il va sans dire que la même chose s'applique en entreprise, peu importe le produit ou le service offert.

2010-02-07

Séisme et leadership

Comme beaucoup de gens à travers le monde, j'ai été touché par le séisme en Haïti. En effet, plusieurs membres de ma famille y vivent et tous ont été affectés d'une façon ou d'une autre par le tremblement de terre. Il n'y a pas eu de blessés ni de morts, fort heureusement; les dégâts se limitent au matériel.


Malgré cela, j'ai eu l'opportunité de bénéficier de la générosité des gens qui m'entourent. En particulier, j'ai été approché à deux occasions pour accepter des dons à effectuer auprès d'un organisme de mon choix. Une fois par les membres de mon ensemble vocal (dont j'ai déjà parlé dans le passé) et une autre fois par le professeur de la classe d'un de mes enfants. Grâce à leur générosité, j'ai effectué un don totalisant près de 1000 $ pour aider en Haïti.


Cette générosité ne s'est pas limitée à eux, bien évidemment. L'argent et les dons affluent de partout à travers le monde. La planète entière a été touchée par le sort de ce petit pays de 9 millions d'habitants, le plus pauvre de l'hémisphère nord. Haïti avait déjà beaucoup de difficulté à régler ses problèmes endémiques et le tremblement de terre n'a fait qu'empirer la situation.


Avec l'afflux de dons et d'offres d'aide venant de l'extérieur du pays, il est maintenant envisageable de rebâtir le pays. Ce sera son plus grand défi. Nous sommes actuellement dans la phase critique : on comprend bien les besoins urgents et il est plus facile de les prioriser. D'abord trouver les survivants et sauver les blessés les plus graves, traiter les autres, donner à manger et à boire à tout ce monde. Mais par la suite, que fait-on?


Une fois tout le monde soigné et nourri, où ira l'argent? Comment va-t-on rebâtir? Comment le pays et la capitale (Port-au-Prince) seront-ils changés? Les réponses à ces questions sont fondamentales. Elles détermineront, en grande partie, si les dirigeants feront un bon usage de l'argent et de la bonne volonté du reste du monde. On a beaucoupaidé Haïti dans le passé, mais très souvent, cette aide a été gaspillée. Soit, elle n'a pas été redistribuée à la population, soit elle a été mal utilisée, soit elle a servi à enrichir les gens au pouvoir.


Selon moi, c'est une situation de dernière chance pour le pays, une dernière chance de prouver qu'il est digne de l'aide qu'on lui procure. Ce qui est une crise humanitaire devient petit à petit une crise de leadership. Si elle est bien gérée, le pays en sortira en meilleur état qu'avant le séisme. Sinon... je ne veux pas y penser. Les dirigeants haïtiens peuvent faire preuve d'un leadership que le pays a rarement connu dans ses 200 ans d'histoire. En voici certains aspects, ainsi que leur pendant en entreprise :



  • Être digne de la générosité des autres : ce n'est pas le moment de faillir à la tâche de reconstruction de manière grossière. Oui, le pays a ses failles et ses difficultés, certes on commettra des erreurs, mais il ne faut pas que ce soient des énormités. (Par exemple, que l'argent de l'aide se retrouve mystérieusement dans un coffre anonyme ailleurs dans le monde).

    On peut dire la même chose en entreprise. Les employés sont généralement remplis de bonne volonté et recherchent le succès de l'entreprise. Mais d'une manière ou d'une autre, la compagnie prend des décisions qui contrecarrent ces bonnes dispositions. Par exemple : forcer les gens à faire des heures supplémentaires sans compensation; ne jamais remercier les employés pour leurs efforts, même si cela fait partie de leur description de tâche; ne pas demander l'opinion des employés avant de prendre des décisions importantes qui auront un impact sur leur travail et leur vie, etc. Petit à petit, la motivation des employés diminue jusqu'à ce que l'on soit obligé de les menacer afin qu'ils fassent le travail minimal requis.



  • Augmenter la visibilité des dirigeants : pendant quelque temps immédiatement après le séisme, le président Préval et ses ministres étaient plus difficiles à trouver. Une des rares images du président en disait long : il expliquait à un journaliste de CNN qu'il n'avait plus de palais, plus de maison et qu'il devrait dormir à l'extérieur. Il semblait abattu. Éventuellement lui et son premier ministre, M. Bellerive, ont émergé et ont été plus visibles. Mais au plus fort de la crise, même les Haïtiens en Haïti critiquaient cette invisibilité.

    En entreprise, c'est parfois pareil. Je prends comme exemple le dirigeant de cette compagnie qui, au terme d'une réunion désastreuse avec un client, sentait que la fin était proche. Au lieu de parler à ses employés pour leur expliquer clairement la situation, il s'est plutôt réfugié dans son bureau et a fait preuve d'un mutisme difficile à briser. La trempe du leader est déterminée lors de crises comme celles-ci. C'est le moment où les « suiveurs » se tournent vers le leader. Ils cherchent une direction et un chemin à suivre. Lorsque les leaders disparaissent en période de crise, cela mine leur crédibilité ainsi que le moral des troupes. Pour maintenir la confiance, il faut augmenter la visibilité considérablement.



  • Il faut un plan de contingence : après le séisme, on a réalisé à quel point le gouvernement haïtien était en situation précaire. Le président est devenu sans-abri. Le gouvernement devait siéger dans une petite cour. Pour certains, c'était charmant et sympathique. Mais je me posais la question : dans combien d'autres pays est-ce que l'on assisterait à des scènes pareilles? Très peu, je crois. Malgré tout, le pays et le gouvernement ont survécu, parce que c'est difficile pour un pays de faillir complètement et de disparaître.

    Dans le monde des affaires, bien sûr, cette quasi-certitude n'existe pas. Il suffit de voir combien de grandes banques et de grandes sociétés ont disparu en 2009 seulement. Le plan de succession est un élément clé. Si le président de la compagnie est tué dans un accident, que se passera-t-il? Si le quartier général passe au feu, qu'arrivera-t-il? Est-ce que les assurances couvrent adéquatement les biens de la compagnie? La bonne gouvernance exige que tous ces plans de contingence soient mis en place.



  • La coordination est clé : dans les premiers jours qui ont suivi le tremblement de terre, il y a eu mobilisation immédiate pour venir en aide au peuple haïtien. Les premières journées ont été difficiles au point de vue de la coordination : certains avions contenant des médecins ont dû être détournés; il y avait dédoublement de tâches entre plusieurs organismes, gaspillant ainsi de précieuses ressources. Beaucoup d'aide et de temps ont ainsi été perdus par un manque de coordination entre les diverses priorités.

    Ce manque d'efficacité et de coordination existe en entreprise également. On ne compte plus le nombre de projets qui dédoublent les efforts d'une autre division ou d'une autre équipe de travail. Au niveau des achats aussi : on achète des produits en double ou en triple parce qu'un département ne sait pas qu'un autre département en a un surplus. Lorsqu'une personne de l'extérieur jette un coup d'oeil sur les opérations, elle peut rapidement voir et régler des inefficacités que les dirigeants à l'interne ne voient probablement pas.



  • Ne pas présumer de mauvaises intentions : les Haïtiens partagent leur île avec la République dominicaine. C'est une coexistence relativement pacifique, mais tendue. Les Haïtiens accusent les Dominicains d'être racistes envers eux, certains travailleurs haïtiens sur le sol dominicain sont traités à peine mieux que des esclaves, etc. Malgré tout, les Dominicains apportent une aide inestimable aux Haïtiens. Beaucoup d'aide humanitaire destinée à Haïti transite par les aéroports dominicains, car l'aéroport haïtien ne peut supporter un tel trafic aérien. Pour le moment, les différends qui affectent les deux pays sont mis de côté. Sans cette aide précieuse, Haïti s'engouffrerait dans la désolation la plus totale.

    Une entreprise ne survivra pas longtemps si ses leaders pensent que les clients cherchent constamment à les arnaquer (oui, j'en ai connu), ou que les employés sont des fainéants qui ne veulent qu'être payés à ne rien faire (idem). Sans que cela soit dit à voix haute, ces croyances se transmettent dans le comportement, les interactions et les décisions qui sont prises. En général, on fera peu souvent face à des escrocs. Bien sûr, il y en aura dans toutes les sphères de la société, mais règle générale, les employés, les clients et les fournisseurs sont de bonne foi. Les leaders qui adoptent une attitude en conséquence obtiendront de meilleurs résultats et plus de succès que ceux qui se laissent dominer par la paranoïa.



  • Adapter le leadership aux conditions : je crois que le gouvernement Préval faisait un travail adéquat avant le séisme. Beaucoup de problèmes ont été réglés (principalement au niveau de l'insécurité et de la violence) et les choses étaient en bonne voie. Après le séisme, par contre, son efficacité reste encore à prouver. Dans quelques années, on pourra déterminer si c'était le gouvernement qu'il fallait en situation de crise ou non. Churchill était la bonne personne pour l'Angleterre lorsqu'elle était en guerre; il ne l'était plus une fois la guerre terminée. Un leader de crise n'aura pas les mêmes caractéristiques qu'un leader en temps de paix. Le premier est très directif, donne des ordres et mène au doigt et à l'oeil, car il y a très peu de marge d'erreur. Le second est plus conciliant et peut prendre le temps nécessaire pour obtenir un consensus.

    La même adaptation doit s'effectuer en entreprise. Les caractéristiques de l'entrepreneur qui prend un germe d'idée et la concrétise ne seront pas les mêmes que celui qui doit gérer une entreprise comptant 200 ou 2000 employés et dont la mission première est de plaire aux actionnaires. Ce n'est pas pour rien que beaucoup d'entrepreneurs vendent et quittent l'entreprise qu'ils on créée à la sueur de leur front : le défi initial n'y est simplement plus et ils s'ennuient.



  • Établir une vision et la communiquer : pourquoi un employé doit-il s'affairer à accomplir les tâches qui lui sont assignées? Quel est le but ultime à atteindre? Et surtout qu'est-ce que l'employé en tire? Très souvent, les buts à atteindre sont déterminés en fonction de la compagnie, des dirigeants ou des actionnaires. L'employé, lui, n'est qu'un aspect auxiliaire de la décision. C'est pourtant un élément clé de la productivité : est-ce que l'employé sait ce qu'il doit faire et pourquoi il doit le faire? Il est révolu le temps où le patron donnait des ordres et l'employé suivait sans poser de questions. Les employés recherchent une signification à leur travail. Ils veulent une réponse à la question suivante : pourquoi?

    En Haïti, je ne crois pas que « Pourquoi? » sera une question à laquelle il sera trop difficile de répondre. La question difficile sera plutôt « Quoi? » Que fait-on maintenant? Dans le passé, le pays fonctionnait avec peu de vision. Lorsqu'il y en avait une, elle était tellement polarisée (par exemple, lors du premier mandat d'Aristide) qu'elle devenait indéfendable. Comment les leaders haïtiens (les leaders formels) réussiront-ils à créer une vision unique qui emballera les moins nantis de la société, qui feront le gros du travail, tout en engageant ceux qui contrôlent les ressources et qui financeront en grande partie le travail (les leaders informels)?




Le séisme en Haïti est l'une des pires catastrophes humaines de tous les temps, en termes absolus (près de 200 000 morts) et en termes relatifs (plus de 30 % de la population du pays est affectée). Le sort s'abat sur ce petit pays de la mer des Caraïbes et ces dernières années ont été particulièrement éprouvantes. C'est pourquoi il est encore surprenant de voir les Haïtiens chanter et sourire si peu de temps après un tel événement. Ces chants et ces sourires sont caractéristiques de la résilience haïtienne. Cela me donne espoir que le pays et ses habitants s'en sortiront, encore une fois.


Les leaders haïtiens, eux, détermineront ceci : dans quel état?


© 2010 Laurent Duperval, tous droits réservés